Haletante et en sueur. C’est ainsi que tu reviens de ta chasse quotidienne, errant à travers la forêt ombragée de Broquir, souillée de sang de la tête aux pieds. La cruelle lourdeur de la nuit t’écrase péniblement, ne laissant qu’un bref instant de paix à ta carcasse ensanglantée. Cela peut sembler étrange aux premiers abords, mais après cette longue et douloureuse séance de chasse, tu te sens quelque peu soulagée. Tu y trouve même un plaisir édifiant. Tu distingue un bon défouloir en cette escapade nocturne, et tuer de pauvres créatures agit sur ton mental comme une thérapie divertissante. Et même si ça sonne un peu sadique avec un certain recul, tu serais prête à recommencer, inlassablement cette litanie curative (mais qu’importe la cruauté, ce serait une vile tromperie de dire que tu n’es pas toi-même inclémente comme le pire des tyrans de ce monde).
Je me parle à moi-même.
C’est sur cette inévitable observation que je m’allonge sur mon lit douillet, tâchant mes draps blancs d’un sang mal séché qui stagnait sur mes vêtements et d’une sueur qui suintait de mon corps au grand complet. Je suis si bien dans mes fluides organiques, je me complais si amplement dans cette geôle humide, que sans même penser à un éventuel décrassage, je m’endors et m’enfonce dans des rêveries inavouées. Et s’enchainent dans ma sphère onirique les songes libidineux, les envies viscérales de meurtre, les désirs malsains et égoïstes, une quête de domination totalitaire, perverse sur le monde des vivants.
C’est ce que tu es, ma belle Dhémée. Une inadaptée qui s’assume, aux mœurs douteux pour le commun des mortels, mais si jouissifs pour une déesse de ta prestance. Rien n’est trop lascif ni trop charnel pour une créature aussi radieuse que toi-même, tu dois profiter de tes esclaves, ces tributaires concupiscents qui ne cherchent qu’à te satisfaire, qui ont pour seul dessein l’accomplissement de tes fantasmes les plus obscurs. Va, forte âme de conquérante, va jouir des plaisirs de la vie sous le soleil couchant qui baigne les plaines d’Alidhan, plonge avec diligence dans les voluptueuses profondeurs. Enivre toi, jeune épicurienne, des plaisirs agencés à ton avidité.
La folie. Je la sent, en ouvrant mes lourdes paupières, elle s’infiltre en moi par des pores insoupçonnés, cette salope atrabilaire, ce charognard. Elle me dévore de l’intérieur, déchire ma peau épaisse en un bruit visqueux. Le sang coule comme dans un abattoir. Les lambeaux giclent en des agrégats de peau disgracieux, les organes jaillissent, impudiques, tous viennent se tailler une place à mes côtés, dans mon lit déjà bien maculé. En un élan insolite de cruauté, mon cœur vient se terrer dans ma bouche béante de surprise, et ses battements faibles viennent cogner contre mon palais déchiré.
Réveil. Sueurs froides.
Tu n’es rien, tu ne vaut rien. Ta bassesse d’esprit et ta laideur grossière sont autant d’éléments qui éradiquent tes chances de réussir dans ce monde corrompu. La seule issue qui soit probante est la mort pure et simple, la seule exode possible est la porte noire de la faucheuse. Viens t’installer chez les morts, viens répandre ta généreuse purulence chez le peuple souterrain, nous t’attendons déjà depuis plusieurs années. Ici, tout est intemporel, tout est concret, rien est discordant. Le moindre désir est exhaussé.
Nous t’attendons.