Un pas en avant, deux pas, trois pas. Je n’avance plus. Je suis coincée. Mes pieds brunis s'embourbent dans la vase sadique et je cri à l'aide, j'adjure le Dieu de toutes natures pour un tonique instant de libération. Quel stoïcisme insolite s'empare donc de mes pattes, pour qu'elles décident aussi subitement - ces suicidaires inavouées - de se loger ainsi dans la fange nauséeuse ? Dans un élan excentrique de courage, obnubilés par le désir montant de couper court à leur vie, mes pieds - ces égoïstes bêcheurs piétinants - auraient-ils oubliés leur si dévouée maitresse ?
J'ouvre les yeux.
Ce n'était qu'un rêve ! Assise dans un recoin poussiéreux de la bibliothèque, je bâille d'une bouche un peu mollasse en me remémorant ce cauchemar extravagant ... et je ne sais plus trop quoi penser de mon état mental. La folie me ceint comme un cordon, m'enveloppe dans son étreinte glacée. Elle trouve même un chemin à se frayer aux travers de mes nuits, de mes - autrefois - si jolis rêves. J'ai beau chercher l'exode, la sortie à tous ces aléas, mais je ne trouve que les ténèbres. Ni renfort ni compassion, pas même l'ombre d'une complaisance bien placée.
J'ai des idées noires, des goûts de suicide ou de meurtre, mon humeur est corrosive, plus aigre que jamais. Mais que sont les simples mots pour dépeindre une telle amertume ?
J'aimerais crier ma rage à ce Dieu hypocrite qui veille sur toutes vies, j'aimerais le confronter, pour qu'il contemple l'ampleur de ma fureur increvable ! Pire encore, j'aimerais moi-même mettre fin à son règne intemporel, faire couler son sang divin pour un monde plus pur. Un monde sans croyances, nouveau, vierge et qui a tout à apprendre. Peut-être ainsi, ma vie catastrophique serait-elle plus glorieuse ?
Je ne suis plus une moniale, je ne suis plus la servante d'un tyrannique Dieu qui n'ose même pas se montrer ! Je suis une hérétique, une fière renégate qui ne souhaite rien de plus que la mort en ces lieux et la mort partout.