« Mes chers royalistes, oyez donc ! Nous devons éradiquer le moindre ennemi par la force ultime. Sans pitié nous devons sévir, sans clémence nous devons tuer. Ainsi va la loi, ainsi va ma loi. Quiconque osera contester mes règles se verra sévèrement puni, car il n'y a pas de douceur pour les renégats, seule une pénitence irréfutable. » - Galoregor
Le despote éructait ses paroles fielleuses à travers la place publique, et les badauds écoutaient avec attention le discours de leur roi, comme s’ils ignoraient résolument la vacuité des paroles. Enfants et adultes, magiciens, guerriers, archers et même paysans étaient tous regroupés devant l'estrade. La stupidité n’avait épargnée personne. Étaient-ils tous si naïfs ? Le roi avait certes un charisme particulier, une sorte d’aura de mystère, mais elle ne palliait pas à son éloquence minime et à ses faibles talents d’orateur. Mais rien à faire ... tous subjugués par les propagandes de l’autocrate, les corniauds restaient impassibles. Des moules.
Pourquoi ne suis-je pas restée dans ma grotte ? Là-bas au moins, j’étais seule avec le silence, cet intime silence qui ne s’objecte jamais, qui se plie à mes demandes les plus nobles. Dans ma grotte, la puanteur est certes exécrable, mais elle n’est que l’aspect un peu rebutant d’un repère inanimé. Ici, à la surface, ce sont les gens qui empestent de l’intérieur ! Ils exhalent comme une forte odeur d’hypocrisie, d’imposture. Insupportable. Et c’est en tant qu’infâmes travestis qu’ils écoutent les boniments du grand monarque. Ils sont semblables à leur roi, au fond. Quelle harmonie dans le peuple !
Les dégoûts s’enchainent en moi comme des ricochets qui viennent taper l'eau, plus le temps passe et plus je méprise toute forme de vie. Je suis répugnée par tout. Manger ? Boire ? Vivre ? Que des termes désuets et ignobles. Je me gène moi-même. Je suis ma propre contrainte, ma propre rétrogradation. Les gens sont pourris car je suis moi-même aussi faisandée qu’une pomme décrépite. Rongée par des vers. Envahie par des anicroches subtiles, fines, calculatrices et abondantes. La vie n’a plus aucun sens, peut-être même suis-je morte et j'en suis indifférente. Je m’enfonce dans un labyrinthe de désolations, en proie aux tourments. Qui suis-je au fond ?
Issue d'une famille pauvre et nomade, abandonnée si jeune et encore si fragile. Une bête chétive. Éduquée par de cruels et belliqueux parents adoptifs. En fuite. Et depuis maintenant de longues années qui me paraissent plutôt comme des siècles, j'erre, amorphe, dans l'espoir de retrouver un sens à ma vie. Un sens à tout. J'érige une misérable prétention pour obtenir un peu de respect, mais ce ne sont que des efforts vains. Des délires éphémères qui ne plaisent qu'aux barbares à la tête enflée.
Je ne suis plus rien. Le fruit d'une passion qui jadis régnait en un torrent d'amour et de volupté, mais qui n'est plus qu'une chandelle à la flamme vulgairement estompée, indigne de ces chaleureuses mémoires. Une faible bougie dans un candélabre difforme, une tâche dans ma filiation. Je ne suis importante pour rien ni personne, seulement pour un affable néant. Je suis une cynique inutile, une marginale inconnue de tous.
Mais tout cela ne m’effleure même plus.
A partir de ce jour, je resterai cloîtrée dans mes cachots humides. Je m’isolerai du monde, la surface ne sera plus qu’une illusion grotesque, la lumière une crainte ineffable. Je resterai recluse, contre nature, contre temps et lois.
Contre tous.