Équinoxe
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 À l'aube d'une vie sans âme, le début de la danse

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Keišen

Keišen


Messages : 3
Date d'inscription : 03/02/2011

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MessageSujet: À l'aube d'une vie sans âme, le début de la danse   À l'aube d'une vie sans âme, le début de la danse Icon_minitimeJeu 3 Fév - 22:26

₪₭₪ I : À la fin du début et au commencement de la fin.

Parade, feinte, coup, reparade, refeinte, recoup.
La rythmique du guerrier, la musique de son art et de ce pourquoi il vit. Dansez avec lui, laissez-vous emporter dans sa danse, une danse macabre, la danse des damnés. Car elle n’aura qu’une issue, l’inéluctable qui vous prendra vos anciens zélés, et de danse nous passons à chasse, vous vous passez de compagnon à proie. Qu’importe la puissance de vos cris ou la chaleur de vos arcanes, le combat s’est fondé dans le fer des lames, l’unique. Le vrai.

Dansez l’art de la guerre, soyez guerrier.

Ou soyez la proie.

De tous les danseurs il est le meilleur. Du moins croit-il l’être et toute croyances n’existe qu’à partir de fondements réels. L’épée et uniquement l’épée. Le seul serment que ce paria a prononcé. Une adoration pour son état de combattant, une haine aux arcanes et aux contondantes. Nulle règle et nulle éthique, une addition qui donne souvent un fauve incontrôlable et dénué de la moindre moralité. Mais il est éduqué voyez-vous, nous n’avons pas ici à faire à vagabond porteur de lames. Non, il fut fort autrefois, porteur de connaissances oubliées, enseignant de la guerre, semeur de la mort. Que reste-t-il de l’homme au bras d’acier ? Les bras. Et la tête. Mais quel guerrier à besoin de sa tête ? Il faut privilégier la bêtise et l’imprudence pour être bon, l’intelligence ne mène qu’au bout de la danse.

C’est pourtant un moine qui lui a enseigné à la danse. L’un des meilleurs danseurs de tous assurément. Ironie à sa vocation, ce moine maniait l’épée et la claymore plutôt que la brindille caractéristique à ses semblables. Inutile d’ajouter qu’il ne soignait pas. Un moine combattant ? C’est possible ? Un vrai ?
Tortha.
Son nom.
Son bien le plus cher.
Il était enseignant dans un monastère isolé, la rudesse du temps et les chutes de neiges fréquentes laissaient croire qu’il se trouvait à Asteagan, contrairement aux dires des résidents de cette région. Si l’on ne devait se fier qu’à la parole de ces impurs, le monastère n’était que fabulation de quelques sots rendus fous par le froid. Keišen y vivait depuis toujours. « Toujours » étant limité par les capacités de sa mémoire. Élève préféré de Thorta, il devint très rapidement son pupille, couple d’adorateurs cinglés et pourtant dévoués des bouts de fer aiguisés. Le temps est long et court dans les montagnes. Le matin se révèle être le soir et une semaine, un jour. C’est le soir d’un jour que Thorta tomba.
Sa tâche était pourtant aisée, rapporter des provisions au monastère. Il décida même de laisser son pupille, Keišen, l’accompagner.

Du sang.

Un moine mort.

Le tableau dépeint par la route qu’ils venaient de prendre quelques minutes auparavant. Tortha eut à peine le temps de réagir, l’embuscade l’avait déjà coincé. Des brigands sans aucun doute. L’attaque dura à peine plus de trente secondes.
Trente secondes …
Juste le temps dérober une bourse, le temps de tuer un homme … Le temps de faire brûler dans un pupille un brasier de vengeance et de colère. Lorsqu’on allume un feu il faut savoir l’éteindre. Sans quoi il faut en mourir. Keišen eut le temps de s’enfuir ce jour là, le combat était trop inégal, oublions la lâcheté et privilégions la peur. Ce soir là, il quitta Asteagan, des jours durant il marcha à travers les contrées de ces terres. Le Froid, Les Forêts, Les plaines, … Il finit par aboutir à une ville. Plus majestueuse que les autres, par sa taille uniquement. La population quant à elle semblait aussi gueuse que celle des autres patelins qu’il avait eu le malheur de traverser.

Nedmor.


₪Ệ₪ II : Une vie de mendiant dans une cité de Rois.

Il n’avait jamais eu aussi froid. Chose étonnante pour quelqu’un qui vient d’une région aussi frigorifiée que ne l’est Asteagan. Pourtant, il tremblait comme jamais. Le mucus de ses narines auréolait sa bouche d’une croûte jaunâtre. Ses vêtements autrefois protecteurs et chauds étaient rétrogradés à de vielles guenilles plus utile pudiquement que pratiquement. Il Neigeait à Nedmor, il n’avait rien pour se couvrir, et il se voyait déjà mort. Deux ans qu’il était là, sans le sous, avec à peine de quoi se mettre sous la dent, voguant entre les rires moqueurs des passants fortunés et l’hostilité des créatures qui avaient élu domicile dans la capitale. Le guerrier attentionné n’était plus, Keišen tomba pas à pas dans la folie et la débauche. Que ce soit dans un fond de choppe ou entre les cuisses d’une prostituée, il allait chercher l’oubli dans les rebuts de ce monde. Alcool et plaisir, plaisir et alcool, les secrets du bonheur malsain. Mais la boisson des dieux et les catins des tavernes demandaient rémunération, à tel point que sa bourse déjà misérable s’aplatît rapidement. La dernière pièce fût pour une choppe, le choix entre la femme et le liquide ambré fût vite fait.

La monotonie du port de Nedmor fût dérangée. Un matin de mardi, à l’aube des premières grêles, deux curieux personnages firent leur apparition. Keišen, blotti au pied d’un arbre dans des couvertures aussi sales que lui (et ce n’est pas peu dire), avait tout le loisir d’observer l’homme et la femme prenant leur places respectives dans la capitale déjà bondée. L’un et l’autre ignorant les bestiaux qui les entouraient et, aussi curieux que cela puisse paraître, s’ignorant entre eux. La femme ne pouvait s’empêcher de froncer les sourcils à la vue de l’homme, et ce dernier semblait éviter méticuleusement de croiser son chemin. L’homme était assez grand, un ventre saillant qui mettait en difficulté les boutons de sa chemise laissait croire qu’il n’était pas homme à jeuner. La femme, quant à elle ne semblait en rien se distinguer de l’ordinaire, si ce n’est ses mains calleuses et abimées, témoins d’un long passé de labeur. Tous deux érigèrent un semblant d’estrade, un simple enchevêtrement de planches de bois, pour s’élever au dessus de la populace. L’homme prit la parole le premier, élevant la voix pour se faire entendre de la foule environnante :

« Oyez ! Oyez peuple de la capitale ! Cessez vos activités passagères et écoutez donc ce qu’un voyageur des grandes villes a à vous dire. Approchez ! Approchez donc, ne soyez pas effrayés ! Connaissez-vous les rumeurs qui courent en dehors des murs infranchissables de votre cité ? Les connaissez-vous ? Non, sans aucun doute ! Vous savez ce que les gens disent ? « Les habitants de Nedmor ne sont que des Citadins gras et paresseux. » Depuis des années vous laissez ces rumeurs parcourir nos terres sans esquisser le moindre geste pour les démentir. Mais peut-être n’en avez-vous seulement pas l’occasion ? Cette occasion mes amis, je vous l’offre ! Je vous offre mon savoir, mes connaissances de la fabrication ! Venez donc, venez vous initier à l’art de la fusion, de la puissance de dieu : la création. Du fer forgez la lame, du cuir tissez la toge, et de vos création récoltez de quoi bomber votre bourse … »

Keišen se colla à son arbre lorsque des dizaines, des centaines, de loups avides d’argent se pressèrent au pied de l’estrade de l’homme. Une seconde voix, plus fluette, mais tout aussi désagréable aux oreilles abimées du guerrier éclata sur la place.

« Nedmoriens, Nedmoriennes, écoutez-moi ! Faites fi de ce grassouillet malpoli, je vous offre, moi, un réel travail ! Vous souhaitez réellement passer votre journée enfermé dans une forge ? Un atelier de couture ? Croyez-vous que ce soit cela qui brûle les rumeurs ? Laissez donc parler ce maître de la paresse et venez à moi, que je vous enseigne le vrai travail. Je vous offre la possibilité de cueillir les plantes, qui sait ce que mère nature pourra vous apporter ? Et la chasse amis Nedmoriens, faites-en un métier. Dépecez ces saletés et vendez donc votre butin ! La richesse véritable ne s’acquiert qu’après du labeur véritable, pas de la jouette dans un atelier ! »

L’homme commençait déjà à répliquer d’une voix forte, mais Keišen se boucha les oreilles. La vue de leur face désarticulée par la colère lui suffisait amplement, inutile de s’accabler encore avec des paroles. Il réfléchit à leurs paroles, voyant au-delà des mots asticoteurs pour en saisir l’intérêt véritable. La proposition de l’homme semblait plus onéreuse, de quoi se faire du blé facilement. Mais son corps criait à l’exercice, les craquements de ses articulations se faisant de plus en plus suppliants, ses bras endoloris réclamaient le retour de leurs muscles d’antan. Il se dirigea donc à pas lents vers la femme, se frayant tant bien que mal un passage de la cohue. Les uns en colère d’apprendre comment étaient vus les Nedmoriens hors de la capitale, les autres excités à l’idée de se convertir dans un métier, et enfin ceux qui vaquaient à leur occupations quotidiennes, ne faisant nul cas du brouhaha causé par les deux nouveaux venus. Tout cela formant une foule en effervescence désordonnée dans laquelle le passage n’était pas des plus aisés. Il mit une vingtaine de minutes à atteindre l’estrade qui ne se trouvait pourtant qu’à une quinzaine de mètres. Il s’approcha de la femme, lui murmurant un faible bonjour. À peine eut-il le temps de continuer que déjà elle lui déblatérait un discours qu’elle semblait connaître par cœur à force de répétitions :

« Bonjour aventurier, comme tu dois le savoir je suis un des deux maîtres artisans et je suis spécialiste des métiers de récolte.
Mon rival est spécialisé dans les métiers de fabrication et même s'il se croît meilleur il faut qu'il sache que sans récolte on ne peut rien fabriquer ! »

Keišen l’écouta sans prêter attention, il était venu pour apprendre, non pour écouter. Il fit au plus simple, voulant éviter que la femme ne se relance dans l’un de ses discours passionnés.

« Je souhaite, chasser, mettre en pièce mes proies, réduire ces bêtes à de simple cibles sans âme ni sentiment. De simples gagne-pains. Et du sang … Je veux qu’il en coule des litres … Que ma lame en rougisse à chacune de mes sorties, que son goût me devienne plus familier que celui de l’eau, qu’il recouvre ma vie d’un voile écarlate. Je veux tuer, comme avant. »

« Bien bien … Vous semblez … Très attiré en tout cas. Très bien messire, je vous propose donc de devenir dépeceur, faites donc ce que vous voulez de ces pauvres bêtes tant que vous ramenez les peux en bon état. Voici un couteau, sa lame recourbée vous sera plus utile pour le dépeçage que cette arme barbare qui pend à votre ceinture. Bonjour monseigneur, que puis-je faire pour vous aider … »

La femme passait déjà à la prochaine personne, jetant hâtivement le couteau dans les mains du guerrier décharné. Le dépeçage … Une simple couverture à ses envies sanguinaires. La chasse était ouverte.

Les jours passés firent rencontrer à Keišen des gens, des riches, des pauvres, des « comme lui». Veñor et Adran, deux frères de misère et peut-être deux amis. Le premier se faisait appeler Ombre, il associait à ce nom une histoire de spiritisme et de Démons, Keišen n’avait jamais réellement cherché à en comprendre les détails. Le Mage se faisait quant à lui appeler « Le Prophète ». Ils avaient tous des surnoms dans la capitale, une façon d’oublier ce qu’on est et pourquoi on en est arrivé à ce point, aussi bas. Suffisamment bas que pour considérer une choppe comme le bonheur d’une vie, pour s‘agenouiller devant une personne que l’on hait à la demande de quelques pièces.

La chasse rapportait au guerrier de quoi subsister et même d’aider ses compagnons de table. Ou « compagnons de caisse » pour aller chercher dans l’exactitude et les détails. Bien que monotone, cette activité lui permettait de développer sa musculature défaite et de garder une certaine forme. Il s’absentait des semaines, parfois des mois, avant de revenir le sac plein de peaux diverses qu’il troquait contre quelques centaines de po. La vie de pauvre à Nedmor commençait.
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MessageSujet: Re: À l'aube d'une vie sans âme, le début de la danse   À l'aube d'une vie sans âme, le début de la danse Icon_minitimeVen 4 Fév - 20:21

[Avant le venue de Veñor chez les In Terra Incognita …]


Bref passage égaré ...


Nedmor. Saleté de ville pourrie. Les balayeuses commencent leur tournée. Ce raffut nous sort d’un sommeil pourtant de plomb. Nous sommes en novembre. Les nuits sont fraîches déjà. Le sommeil ne nous cueille que fort tardivement, au petit matin, quand rompu de fatigue, las d’ivrognerie, nos corps transis oubliant le froid lâchent prise et s’endorment. Pour quelques heures seulement. La vie reprend très vite ses droits. La nuit n’est jamais calme très longtemps. 5 heures. Je reste allongé sans bouger.



Nous sommes installés sur la butte qui domine le port. Quelques caisses à même le sol, une poignée de couvertures, trois chaises et une caisse retournée en guise de table. Installés, un bien grand mot en somme. Là, à un jet de pierre du coin des artisans, nous subissons un peu trop tôt la reprise du bruit sur cet axe passant. Mais on est juste à côté du point de distribution de la soupe populaire, au dessus des côtes, et suffisamment éloignés des illettrés qui rôdent devant la banque, à la recherche d’une ribambelle pour agrémenter leur guilde , en bas du cimetière. On les évite comme la peste. Ils sont une vingtaine, femmes et hommes, tous dans la rue, vivant de petites combines et de menus larcins. C’est pas Keišen qui prendra leur défense. Complètement frappé ce gars. Un vrai fou.



Moi, je me fais appeler Ombre. C’est pas mon nom, évidemment, mais là où je vis, on n’a pas besoin d’une identité. Ombre. Un nom de scène en somme. Y’a Warrior, un minot d’à peine 25 ans, Keišen qu’il s’appelle, mais nous on l’appelle Warrior, référence à sa classe. Le dernier à crécher avec nous sous le couvert des quelques arbustes autour du cristal c’est Le Prophète, un vieux mage qui n’a connu que la rue. Lui, c’est Le Prophète pour tout le monde. Personne ne sait trop rien de lui. Personne ne lui a jamais rien demandé d’ailleurs.



Je suis le premier à me lever. Sacrément rouillé ce matin. Il doit être à peine 6 heures. Une longue journée qui débute. Toutes les journées sont longues quand on est dehors. La première chose, c’est chier. Profiter de la nuit. À distance raisonnable de toutes les voies de circulation, on cherche un peu de tranquillité. Faut faire gaffe à ces foutus chasseurs. Ils courent comme des dératés le soleil même pas encore levé. C’est rien quand on a un chez soi ou qu’on présente assez bien pour filer en douce dans les latrines d’une auberge ou d’un gîte, mais quand on a ma trogne, on ne peut pas rentrer quelque part sans être aussitôt repéré. Et vidé, bien sûr. C’est une évidence qui ne touche personne sauf ceux de la rue. Chier, c’est une sinécure. Comme se laver. A moins d’aller à l’auberge. Mais c’est pas pour moi, ça. Je préfère caguer dehors comme un chien et me laver que quand je trouve un étang ou un marais pas trop frisquet. C’est un choix… Est-ce vraiment encore un choix ?



Je bouge. Il faut s’activer pour réchauffer ce corps brisé, usé, méprisé. Le froid pénètre profondément dans les os, les articulations, me laisse gourd. Alors je marche. J’emprunte la passerelle qui longe la mer et me dirige vers le port de la gare. J’alpague les travailleurs matinaux. « Z’auriez pas une ‘tite pièce, siou plaît ?»… pas de petites pièces. Pas beaucoup. Pas souvent. Les hommes-en-toge portent plus aisément la main au portefeuille pour se payer un croissant ou une choppe que pour te filer une rondelle. 20 po qu’on te file le plus souvent. Faut dire merci en plus ? Allez, merci.



Juste de quoi se payer une petite bière pour commencer. Le liquide chaud et goûteux me donne des espérances de rédemption : il y a du bonheur même pour les types comme moi. Je continue à taper tout azimut, si possible ceux qui sont avec leur mioche. Ils donnent plus facilement quand il y a les gamins. C’est mon boulot de la journée. Moi aussi, je fais parti de ceux qui se lèvent tôt. Mort de rire.



Vers 8 heures, je rapplique sur la butte. Le prophète est là, assis. Il n’a pas bougé, son pied endolori limitant fortement son périmètre de marche. C’est rare que le vieux s’escampe bien loin de toute façon. Un pied de guerre, comme on lui a dit. C’est le manque d’hygiène, l’humidité, les bottes qu’on garde 24/24 de peur de se les faire faucher qui entraine cette gangrène. Il laisse ça comme ça, le vieux, comme si ce n’était pas son pied. Il se fait conduire chez un moine quand y a trop de vermines dedans. C’est pas l’odeur qui nous indispose, nous. On empeste tous plus les uns que les autres. Une odeur rance, poivrée, abjecte… Mais on finit par ne plus rien sentir. On s’habitue. On s’habitue à tout, je crois.



Kei’ est parti avant que le vieux n’ait émergé. Il est parti en laissant ses affaires et sa pelure qui lui sert de sac de couchage. C’est bon signe. Y nous reviendra peut-être. Des fois, en pleine nuit, encore rond comme une barrique, il lui arrive de disparaître corps et biens pour des semaines. Il est on ne sait où, puis il revient comme s’il était parti hier. Pas un mot, pas une allusion à son absence, c’est la règle. Vivre en dehors du temps, sans passé ni avenir, c’est vivre dans un infini présent, une distorsion de l’instant où chaque seconde se ressemble, peut être interchangée. Pour lui, hier ou il y a un an, c’est du pareil au même. Pour nous aussi, en quelque sorte.

J’ai toujours été seul dans cette ville pourrie. Puis j’ai rencontré Kei’. Un frère de galère, enchainé au même banc de cette chiourme nauséabonde. Celle de ceux qui se négligent. C’est ça qui est fort, on est son propre bourreau quand on nie son existence comme on le fait. On se sape du dedans tout seul. Et on croit incarner quelque chose. Une révolte. Peau de balle ! La merde c’est qu’en plus tout ça est vain ! On n’est rien d’autre que des marginaux, des exclus. Et pour faire péter le système, il faut le miner du dedans. Alors c’est nous qu’on mine. Et puis Le Prophète …



Malgré le pied rogné du Prophète , on se met en quête. On va ensemble, clopin-clopant, à la recherche de monnaie. On fait la manche une petite heure, histoire de gagner notre pain quotidien. Une dizaine de po’s à nous deux. Les temps sont durs. Ici, on nous connait. Les gens du quartier nous filent des feuilles, une potion, un poisson. Le regard est plus uniforme, moins critique. On a beau être laid comme des poux, embaumer le cadavre à 1 mètre et se pochtronner souvent sous leurs fenêtres, ils ont une certaine tolérance à notre égard. C’est apaisant.


A partir du moment où on a touché le pif, on se pose dans un coin au soleil et on descend tout ça plus vite que le pain et la saucisse. C’est pas très beau à voir, mais on se saoule. Voilà tout. Il faut garder une certaine distance avec nous-mêmes, et l’alcoolisation chronique nous y maintient. Faut pas croire qu’on est fier. On se déchire parce que sans ça, les journées sont trop tristes. On pourrait pas passer tout ce temps à cogiter, à se voir dans cette merde noire, au fond du trou comme des scarabées sur le dos, on pourrait pas. On n’existe plus vraiment en fait. On a besoin de s’oublier. Si on se voyait dans un miroir, lucidement, objectivement, y’aurait plus qu’à se foutre en l’air. On n’est pas des héros ni des génies. On a tous en nous, enfoui quelque part, en secret une fêlure profonde qui nous rend friable à ces maux, nous laisse tomber dans cette facilité, se pochtronner pour ne pas penser. Mais ça n’empêche pas qu’on soit des hommes. C’est pas ça qu’on voulait être. C’est pas là, par terre, sur ce banc, dans ce fourré, je ne sais où _ peu importe _ à descendre les litres de pinard comme du petit lait qu’on voulait finir. On s’en accommode. Comme d’une maladie. Comme du chômage. Comme de la mort qui nous guette. On ne pleure pas tous les jours parce qu’on sait qu’on va tous mourir ? Y a la vie qui vous aide. Y a la vie qui vous tient. Ben nous, y a plus rien. Nous sommes vides, seuls, désœuvrés, sales et bourrés…



Après, c’est les conneries. Forcément, quand on est plein… Et puis on dort. On fait la sieste. Les après-midi passent comme ça. Le soir, faut refaire le plein. On vaque à quelques petites affaires. On fait les poubelles pour chercher des trucs bons à se rendre le quotidien moins difficile. C’est fou ce que les gens foutent à la poubelle. On tuerait pour ce qu’il y a dans les poubelles. Fringues, couvertures, mobiliers, rasoirs, restes de repas, pechons et que sais-je encore. Ce soir-là, on faisait des poubelles du côté du coin des Artisans. On fouille pas trop dans les poubelles des commerçants du quartier, pourtant nombreux. C’est pas pour nous. Même pour leurs déchets, on n’est pas assez bien. C’est réservé aux nouveaux pauvres. Les travailleurs pauvres qu’on les appelle. Un nouveau fléau de notre société. Des fois, on se dit qu’on n’est pas si mal, au fond de notre trou. Bref, on foutait un peu le bordel, surtout moi. Je renversais un peu tout par terre. Le Prophète était trop cuit pour fouiller et sa gangrène le faisait souffrir, alors il attendait, le cul posé par terre.

Dans notre existence, il n’y a pas de rebondissements ni d’apothéose. Tout juste un sacré foutu éternel recommencement. Une écœurante odeur de « déjà vécu ».


Descendez donc de votre fortune et venez vivre la misère de Nedmor.
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